Europe
Au bord du ruisseau trois générations de filles. De nombreuses demoiselles se posent sur nos mains et sur nos bras.
Montréal Dorval à Toulouse-Blagnac. Transit par Londres Heathrow. Conduire de Montréal à Rimouski prend le même temps que de s'envoler pour Londres. Déguste des whiskies et achète des chocolats. Arrive le 25 décembre à Toulouse en après-midi ; 40 degrés Celcius me séparent de Montréal. Je m'en réjouis.
Sud-Ouest. Pyrénées. Hérisson mort dans le buisson en entrant dans la maison de mes parents. Cocon devenu carcasse. Il y a des grenades, du romarin en fleurs, des oiseaux, des insectes. L'hiver québécois oublie les insectes. Terreur en hiver de ne pas les voir revenir au printemps.
Biarritz. L'océan. La montagne. Être petit malgré soi. J'ai finalement dispersé toutes les cendres de mon père. J'ai parlé à l'océan et il m'a répondu. J'ai palpé son danger. J'ai joué encore, au milieu des pêcheurs, aux héliotropismes, à fermer les yeux sur la grève et me laisser guider par la lumière du soleil qui me touche.
Vagues, cycles. Penser comment nous serons tous, finalement, dispersés en cendres, en eau, en lumière.
Télescopages entre le réchauffement climatique et la perte de couleur des insectes. Ils deviennent clairs et transparents à la chaleur. Fantômes.
Prendre la voiture puis le train puis le bus puis l'avion puis le metro puis marcher jusqu'à l'hotel Johann Strauss, à Vienne. Se refléter dans les miroirs de l'ascenseur. Sortir et rencontrer quelqu'un qu'on n'a connu que sur l'internet. Marcher, parler, se perdre, parler pendant des heures. Être à la fois stimulé et extrêmement fatigué. Rentrer à l'hôtel. Se hisser hors de la fenêtre et admirer les toits. Inventer des angles familiers. Les reconnaïtre, les sublimer. Trouver les lieux dans lesquels on reviendra en pélerinage. Se délecter d'un petit déjeuner d'hôtel, d'un bain, d'un petit carré de chocolat posé sur l'oreiller.
Jouer à la radio nationale autrichienne avec Michael, saxophoniste incroyable rencontré à Rimouski. Redevenir libellule. Me faire guider par lui et sa femme dans les rues de Vienne, au milieu de tous ces cycles d'histoire et mouvements de civilisation. Se laisser porter par le vent. Rencontrer des personnes incroyables. Tomber comme amoureuse. Similaire aux oiseaux.
La Funkhaus est un des rares immeubles européens conçu spécifiquement pour une utilisation radiophonique, la station de Berlin la précédant de quelques années. Tout autant que l'antenne se plaît dans un emplacement haut et dégagé, le bâtiment radiophonique semble complètement fermé sur lui-même. Il est grandiose et se compose de capsules majoritairement privées. Ses marches marbrées, ses éclairages, ses murs capitonnés inspirent la peur et la distance. On y sent le passé étouffé par les chambres anéchoïdales et les revêtements absorbants. Immeuble enveloppe de mue.
Partir pour Berlin, rencontrer Anna. Collaborer, s'inspirer. Sentir la neige berlinoise. Faire de la radio, voir des renards en pleine ville (comme à Londres). Pas de serpents. Revoir des personnes rencontrées à Vienne, à Montréal, à Rouyn-Noranda. Manquer les commissaires en voyage d'affaires. Ne croiser le chemin que d'étrangers, de migrateurs, de libellules. Constater l'évidence qu'il y a deux mondes : celui des sédentaires et celui des libellules.
J'envoie par la poste deux trèfles trouvés dans le jardin de mes parents : un trèfle à quatre feuilles vers Rimouski pour Marie-Pierre et Jean ; un trèfle à cinq feuilles vers Montréal pour Andrea et son mari américain. Depuis toute petite, j'ai le don de trouver les trèfles. Celui qui avait le plus de feuilles en comptait treize. Échelle libellule vision binoculaire.
Le Porge Océan, Aquitaine. Le Porge remplit pour moi de ce côté-ci de l'Atlantique la fonction du Bic en Amérique. Des lieux naturels si beaux, si uniques, si précieux qu'ils en paraissent désertés. Paysages intérieurs modelés par la force du vent et le mouvement des sables. À la fois la plénitude de s'ancrer dans la nature et la terreur de se voir si petit au milieu des éléments. La dune, dont la pente paraît si douce sur la photo, devient montagne lorsque les jambes entreprennent de l'escalader. La majorité des dunes sont en fait indélicates à escalader. Le sable se compare ainsi à la neige : cristaux dont la finesse accumulée devient masse hostile aux déplacements à notre échelle.
Bordeaux. J'ai habité trois ans à Bordeaux. Même les choses qui n'ont pas changé restent étrangères. Peut-être même pire : elles sont devenues muettes, elles ont perdu leur sens, elles n'orientent plus. La maison de Catherine offre un havre de lumière, un retour aux sources. Cycle. Premier feu de printemps. Retourner à sa vieille école pour y enseigner. Être vu comme un étranger partout. Faire de la radio sous les combles d'un immeuble haut et austère. Rencontrer des personnes extraordinaires, sédentaires et migrateurs. Constater que certains sédentaires sont toujours en voyage et certains migrateurs toujours sédentaires. Soulever la question de la magie du voyage des êtres, des idées et des ondes.
Les oies migratrices passent au-dessus de la maison de Catherine. La Gare-Saint-Jean est au bout de la rue.
Au lieu de retourner en voiture vers les Pyrénées, je pars en sens inverse vers la gare et attrape le premier train pour Paris.
Paris sera toujours Paris sera toujours Paris sera...
Choses vieilles réconfortantes, choses neuves. Choses neuves qui auraient toujours dû exister. Choses très vieilles dont on aurait dû se débarrasser depuis longtemps, comme les terribles paysages sonores et les accès canalisés au métropolitain. Milieux aquatiques stagnants.
Arpenter la ville, les délices de la traverser et de voir se succéder lieux inconnus et points de repères familiers. Construire sa propre ville.